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Des défis pour la Douane française
Florien Colas, le Directeur général des douanes et droits indirects, brosse à grand trait les défis de la Douane française qui sont aussi les défis des opérateurs et explique en quoi ils sont des « challenges » à relever en termes d’organisation. Le premier concerne la massification des flux, licites (notamment le e-commerce qui explose et devient un défi immense de contrôle parce qu’il est aussi source de fraude) et illicites (qui augmentent également), alors que la Douane dispose de moyens constants.
Réglementations sectorielles et contexte géopolitique. – Le deuxième phénomène porte sur la mutation des métiers : on est passé d’une Douane qui libère la marchandise à l’entrée et à la sortie à une Douane qui, de plus en plus, opère un contrôle des réglementations applicables au produit. Elle est devenue une « administration de contrôle polyvalente des réglementations sectorielles ». On parle aussi de réglementations non douanières s’agissant de ces normes sectorielles (MACF, lutte contre la déforestation importée, lutte contre le travail forcé, par exemple) qui sont en croissance permanente pour atteindre le chiffre de 348 aujourd’hui… « et ça ne va pas s’arrêter » ajoute Florian Colas ! C’est un défi pour la Douane en ce qu’elle doit mettre en œuvre des réglementations dont elle n’est pas un expert et qu’elle ne maitrise pas puisqu’elles sont mises en œuvre par des autorités compétentes ; il faut donc une relation entre cette dernière et la Douane pour les questions d’interprétation et, en même temps, la Douane doit répondre aux interrogations concrètes que se posent les opérateurs. Une question se pose aussi à la Douane s’agissant de son rôle dans ce cadre : vérifier simplement la présence d’un document d’ordre public (DOP) ou opérer en substance un contrôle de fond ? S’ajoute bien sûr la gestion de l’imprévu avec des exemples récents comme le Covid (et la gestion de l’approvisionnement des masques), le Brexit ou les sanctions contre la Russie.
Difficile d’anticiper sur l’actualité de 2025, mais face à un contexte géopolitique incertain, la Douane est une arme de politique économique, à la fois défensive et offensive (s’agissant des tarifs) : cette administration a un rôle à jouer en termes de protection de l’appareil économique national et peut avoir aussi un rôle offensif dans un contexte économique très tendu en projetant les normes et exigences de l’UE à l’étranger, vers les opérateurs qui exportent à destination l’UE : on est au début de l’histoire dans cette capacité à gérer un effet extraterritorial par l’application des réglementations que la Douane met en œuvre. Mais il faut le développer de manière effective avec des outils qui ne pénalisent les opérateurs européens : ce sera le défi des prochaines années et le travail en ce sens a déjà commencé.
Réforme de l’Union douanière. – Bien qu’elle soit la base, le socle de l’UE, l’union douanière est paradoxalement la moins intégrée s’agissant des outils connectés : les systèmes informatiques sont fragmentés au niveau national. De plus, s’agissant de l’e-commerce, il faut inventer de nouveaux outils pour le traitement de ce type de flux (qui n’a pas le même volume, ni les mêmes défis que le commerce non électronique) qui garantissent la fluidité. S’agissant du statut d’opérateur « Trust and Check », une réflexion est nécessaire sur l’articulation avec le dispositif OEA et sur le contenu à lui donner en termes de bénéfices : la Douane travaille avec ses partenaires de l’UE à une vision commune sur ces points. Enfin, s’agissant de l’autorité douanière européenne, un premier pas a été franchi : une coopération informelle avec la création de l’ADEF, l’agence douanière européenne pour les frontières (organisée en 4 piliers : terrestre, maritime, aérien et le soutien) ; elle est une préfiguration de l’autorité précitée. Tout cela va refondre la relation avec les opérateurs et les métiers du dédouanement et donc l’organisation en entreprises.
Le président de l’ODASCE, Marc Brocardi, confirme que la Douane fait face aux mêmes enjeux que les entreprises : inflation de normes sectorielles qui sont selon lui « douanières par destination » puisque, même si ce n’est pas cette administration qui les conçoit, c’est elle qui les contrôle. Il en déduit lui aussi la nécessité pour les opérateurs de réfléchir et d’investir dans les process et dans l’humain via la formation.
Des défis identiques pour l’UE
La sécurité économique devient sujet majeur et la politique commerciale doit être pensée dans le contexte économique qu’on connait aujourd’hui, qui évolue rapidement et peut être perturbateur, et donc créateur d’opportunité parfois, selon Charlotte Merlier de la DG TAXUD. Mais il est surtout perturbateur et crée un besoin de s’adapter rapidement. La politique de partenariat avec les pays tiers reste d’actualité, mais la conscience qu’il faut être prêt à défendre les intérêts de l’UE doit rester présente, en ce sens que les instruments de défense commerciaux, le contrôle des exportations, les sanctions économiques « doivent rester dans l’agenda ». La question de l’application des mesures prises est aussi un point important : on adopte des mesures et il faut ensuite qu’elles soient mises en œuvre par les entreprises et les administrations. La question de l’équilibre entre les facilitations et simplifications d’une part et les contrôles d’autre part (pour la protection des intérêts financiers, la protection contre le commerce illicite) est remise au cœur des mois et années qui viennent.
S’agissant de la réforme de l’Union douanière, elle s’inscrit dans un environnement qui cumule la complexité croissante de la frontière, des marchandises, des flux qui augmentent comme le nombre des déclarations et des règles sectorielles assez complexes et pas toujours adaptées aux outils douaniers, et un contexte extérieur de plus en plus incertain (Covid, Brexit, mesures de restriction). Ce constat confirme que l’outil douanier se pense à l’échelle européenne (« act as one »). L’aspect technologique doit être complétement intégré dans cette approche. La politique douanière doit servir des objectifs stratégiques : sécurité économique, politique commerciale, politique tarifaire, politique industrielle, politique environnementale, qui sont également des enjeux de l’UE. La réforme a été pensée et est toujours adaptée à ces défis (dès l’origine, elle n’a été envisagée ni comme une réforme technique, ni comme un toilettage du CDU) : elle s’inscrit dès le début dans un changement de paradigme, un changement d’échelle (s’agissant de la technique). On agit ensemble (« act as one ») avec des données partagées et l’action commune, la gestion des risques, la gestion des crises, la définition des infractions et des sanctions. La réforme résoudrait aussi l’enjeu de gouvernance pour l’UE : l’autorité douanière sera un interlocuteur au niveau européen pouvant dialoguer avec d’autres agences (Euronext, Europol, etc.). La réforme donne ainsi de la visibilité à la Douane et au volet non financier (réglementations sectorielles, mesures de sanction), le volet des droits de douane demeurant toujours.
Un titre entier de la réforme est dédié à la coopération, bien sûr entre États membres, avec les autorités douanières et avec les administrations partenaires, celles qui décident et mettent en application les réglementations sectorielles (leur expertise est nécessaire) et la coopération avec les pays tiers. Comment la réalise-t-on ? Deux outils majeurs sont proposés dans la réforme : l’autorité douanière qui met ensemble les ressources, l’expertise et les capacités à l’échelle de l’UE pour développer et pour maintenir l’outil qu’est le data hub qui va faire un usage de la data, de l’expertise au service des États membres et des entreprises : ce sera le lieu de la capacité européenne pour la gestion des risques/des crises à l’échelle de l’UE en soutien des États membres. Le data hub est une plateforme pour les formalités douanières, pour les procédures douanières, pour les autorisations et les décisions prises par les Douanes. Les administrations et les opérateurs utilisent cet outil en commun qui sert une politique de simplification (les données étant réutilisées), en ayant ainsi une seule interface au lieu d’une centaine actuellement qui sont en silo et le plus souvent nationales. Ce data hub matérialise une union douanière, une politique tarifaire et commerciale commune et est pensé pour être accessible par toutes les entreprises : il n’y pas de seuil en dessous duquel certaines entreprises ne pourraient pas l’utiliser. L’aspect « accès à la donnée » (au sens de protection) est aussi pris en compte : l’UE dispose du RGPD et les éléments de la réforme seront développés par des textes d’application (qui préciseront qui accède à quoi, dans quelles conditions, dans quels objectifs, etc.).
La réforme c’est aussi la technique aux services des priorités ci-dessus, la rationalisation des procédures douanières. On change la notion d’importateur : c’est celui qui décide et qui sait ce qu’il se passe, il est donc responsable. Il y a un chainage des éléments : l’entrée (ICS), n’est plus séparée, n’est plus en silo par rapport au transit, par rapport au dédouanement ; on réutilise les données, on permet à plusieurs personnes différentes de compléter la chaine de données (c’est plus simple, plus rapide et plus efficace pour les entreprises et l’administration) ; on est dans une logique de qualité des données et d’anticipation des événements.
Un enjeu de partenariat avec les entreprises fiables se traduit avec le statut d’opérateur Trust and Check qui va plus loin que le statut d’OEA. On vise la simplification renforcée (et notamment la centralisation à l’échelle de l’UE) et des facilités pour ces opérateurs. En échange de ces avantages, la contrepartie qui doit en résulter est la transparence avec la Douane, qui doit plus facilement faire son métier et réaliser la surveillance de ces flux en partenariat avec l’entreprise.
Le e-commerce, une partie importante de la réforme, est aussi rappelé : sa réforme n’est pas un aspect isolé, mais vient de celle relative à la TVA, la nourrit et la complète.
La technique de la réforme sert un objectif plus important de sécurité des données et d’un équilibre entre les facilitations et la capacité de contrôle et de protection de l’UE.
Le calendrier 2026-2028 portera essentiellement sur les premiers éléments du data hub et du e-commerce et, à partir de 2032, les opérateurs pourront entamer leurs mouvements vers ce hub pour que leurs flux soient gérés avec cette dimension européenne.
En conclusion, la réforme de l’Union douanière est un enjeu pour le commerce et pas seulement pour les aspects douaniers, elle a été pensée pour servir la sécurité de l’UE et il est important qu’elle se concrétise le plus tôt possible, selon la représentante de la Commission.
Des enjeux de politique commerciale offensifs et défensifs bien compris…
Thimothé Hure, le chef du bureau règlementation internationale du commerce à la Direction général du Trésor, rappelle que cette direction est chargée d’élaborer la politique de la France en matière commerciale, s’agissant des intérêts tant offensifs que défensifs. Face à la montée des tensions géopolitiques, des réponses appropriées aux tensions commerciales croissantes doivent être trouvées : il faut diversifier les importations et les exportations, diversifier les débouchés et les chaines d’approvisionnement. Les tensions géopolitiques, comme celles avec la Chine ou les USA, vont créer des tensions commerciales : des mesures commerciales sont prises par ces partenaires commerciaux qui sont restrictives, pour ne pas dire protectionnistes (restriction aux importations de matière première, mise en place de barrière tarifaire, de mesures « distorsives » du bon fonctionnement du commerce, par exemple par l’usage massif de subvention par certaines économies, notamment la Chine, ou par la mise en avant de critère de contenu local, comme avec les USA). Ces mesures affectent fortement l’économie de l’UE. Le défi pour la France et l’UE est de veiller ce qu’il y ait une meilleure articulation entre la politique commerciale qui doit être plus assertive et la politique industrielle qui doit être davantage affirmée. Parler de politique commerciale plus assertive signifie davantage utiliser les outils de l’UE pour face à certaines pratiques déloyales. Il ne faut pas le voir comme un repli sur soi : évidemment l’ouverture commerciale est un point central de l’agenda commercial français et européen, mais cette ouverture ne doit se faire que si on est face à des situations de concurrence loyale. À défaut, il ne faut pas hésiter à utiliser les moyens de défense commerciale. La Commission et les États membres se mobilisent pour agir de manière rapide et unie. Il faut toutefois faire mieux parce que le « risque d’atteinte assez nette à nos intérêts » est présent, s’agissant par exemple de la nouvelle administration Trump qui pourrait affecter les relations avec la Chine et affecter directement l’UE s’agissant d’une promesse de campagne de relever les droits de douane de 10 à 20 % erga omnes. Tous ces éléments doivent amener les opérateurs à augmenter leurs débouchés et à sécuriser leurs approvisionnements, l’enjeu portant donc sur l’import et l’export. La DG Trésor s’appuie sur les opérateurs qui sont les premiers à identifier les risques et les barrières.
Dans ce contexte, les accords de commerce sont un puissant instrument pour les importations et exportations. Ils sont conditionnés à leur bonne mise en œuvre et à leur bonne application. Il faut aussi qu’ils soient connus et utilisés par les filières qui peuvent y avoir recours : il est clair que les entreprises les connaissaient, savent s’en saisir, mais sans doute pas suffisamment. Le bilan de leur utilisation est globalement positif : les entreprises françaises font usage des préférences tarifaires des accords de commerce avec un taux d’utilisation de 89 % à l’importation et 80 % à l’exportation en 2023. La France fait partie des « bons élèves » de l’UE. Mais on estime à 500 millions le montant d’économies supplémentaires qui pourraient être réalisées si les préférences étaient utilisées en totalité. L’enjeu d’un plus grand recours aux opportunités offertes par les accords sur ce point est donc clairement identifié et il faut donc les faires connaitre. Ainsi, par exemple, la « semaine de l’export » organisée notamment par la DG Trésor fait la promotion des accords (la prochaine aura lieu les 4 et 5 février 2025) et présente l’intérêt d’un contact avec ses services et ceux de la Commission pour gérer le cas échéant des difficultés d’accès au marché. Bien sûr, les opérateurs ne doivent pas hésiter non plus à utiliser Access2market, à se rapprocher des services économiques en ambassade, de business France, des conseillers du commerce extérieur, etc.
… mais mal appliqués au niveau de l’UE ?
Vincent Jonquières de France Industrie annonce d’emblée la couleur de ses propos : il « va casser l’ambiance », mais très factuellement : selon lui, « pour les industriels aujourd’hui la situation est urgente, grave, voire dramatique ». La Douane est une arme et il est urgent de se saisir des possibilités qu’elle peut offrir pour protéger l’industrie européenne.
Il donne deux éléments de contexte qui illustrent à travers le secteur de la sidérurgie l’ampleur de la crise à laquelle les opérateurs sont confrontés. D’une part, lors du récent forum annuel de l’OCDE consacré à l’acier qui s’est tenu à Paris, il a été constaté que « les surcapacités mondiales atteignaient la bagatelle de 550 millions de tonnes, c’est-à-dire plus que la production cumulée des USA, du Japon de l’UE de l’Inde et de la Turquie ». Ces surcapacités viennent manifestement d’une « politique expansionniste agressive » maintenue par des États principalement asiatiques, avec au premier rang d’entre eux la Chine (et ses subventions). Ces surcapacités qui ont besoin de s’écouler et perturbent ainsi très fortement les marchés mondiaux et le marché européen en particulier. La Chine a augmenté à elle seule ses exportations sidérurgiques d’avant 2023 de 40 % et les chiffres 2024 laissent présager une nouvelle augmentation de 30 %. D’autre part, un autre exemple de la brutalité des phénomènes auxquels les opérateurs doivent faire face concerne l’Indonésie qui est un pays richement doté de ressources minières : à partir du milieu des années 2010, la Chine s’est intéressée à ses ressources minières pour ses propres besoins industriels et, dans le cadre des nouvelles stratégies des routes de la soie en partenariat avec le gouvernement indonésien, a constitué à partir de 2015 un des plus grand complexes sidérurgiques au monde avec une dizaine de milliards de dollars de subvention ; ce complexe produit à lui seul plus d’acier inoxydable que l’ensemble de l’industrie européenne qui en la matière à un siècle d’histoire. Ainsi, en moins de 10 ans, une capacité qui n’existait pas (d’ailleurs créée dans un pays qui n'a pas lui-même de demande intérieure pour l’acier inoxydable) apparait avec des capitaux et cette capacité est donc entièrement vouée à l’exportation, notamment vers l’UE.
Face à cela, « que fait-on ? » interroge Vincent Jonquières. Les opérateurs réalisent des efforts de productivité et de réductions de leurs coûts. Mais ces actions connaissent vite une limite, les facteurs de coûts ayant connu une « certaine inflation » en matière d’énergie ou de salaires. Donc les opérateurs se tournent vers les autorités européennes ou nationales pour demander protection, sous forme d’instrument de défense commerciale par exemple. Dans le cas de l’Indonésie, elles ont été obtenues… mais à peine ces mesures avaient-elles été mises en place en 2022 qu’elles sont immédiatement contournées : la production sidérurgique jusque-là exportée directement vers l’UE depuis l’Indonésie fut exportée par des pays tiers (où les produits subissent une transformation intermédiaire qui leur confère l’origine du pays où elle a lieu) pour arriver sur le marché européen exemptée de droit. Les opérateurs de l’UE ont alors engagé une procédure anti-contournement : cela ajoute encore deux ans de plus ! Et la Commission a adopté finalement mi-2024 une mesure anti-contournement visant trois des pays concernés par les activités de contournement… tout en décidant d’assortir sa mesure d’exemptions qui de facto conduisent à ce que les principaux acteurs impliqués dans ce contournement ne soient pas soumis à la mesure. « Pourquoi ? », s’interroge encore le représentant de France Industrie. Apparemment, au nom du respect de règles dont la Commission s’est dotée elle-même ou qu’elle interprète comme découlant du cadre de l’OMC. Bref, pour Vincent Jonquières, « le multilatéralisme, s’il doit conduire à ce que nous pratiquions un sport de gentlemen, une forme d’escrime à fleuret moucheté, face à des gens qui, eux, pratiquent le combat de rue », ne garantira pas l’avenir de l’industrie européenne, et « donc oui, nous avons des armes [de défense commerciale] mais il est important de s’en saisir pleinement ».
S’agissant toujours de défense commerciale, le représentant de France Industrie souligne le parallèle intéressant avec les USA. En 2018, l’administration américaine avait introduit un droit à l’importation systématique erga omnes de 25 % sur les produits sidérurgiques, une mesure brutale non compatible avec les règles de l’OMC qui a amené ensuite les USA à négocier des accords d’exemption partielle avec de grands partenaires économiques, dont le Mexique, le Canada et l’UE. C’est une mesure qui a été très efficace pour protéger l’industrie US. À l’inverse, l’UE n’a pas souhaité se doter d’un instrument équivalent : elle a mis en place à partir de 2018 un instrument dit de sauvegarde qui n’a pas du tout la même portée puisqu’au lieu de taxer au premier euro ou à la première tonne les produits importés, le principe était au contraire d’exonérer les volumes historiquement importés tout en continuant d’augmenter chaque année les quotas de volumes exemptés. Dans le même temps, avec la crise du Covid et la crise énergétique qui a suivi l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le marché européen lui baissait : ainsi, des quotas d’importation en franchise de droit augmentaient et un marché européen diminuait, conduisant à déstabiliser encore plus l’industrie européenne. Donc, « on pourrait s’inspirer utilement de ce qu’on fait les USA en 2018 et il y a sans doute urgence », selon Vincent Jonquières qui a le sens ici de l’euphémisme.
S’agissant du MACF, c’est « un instrument tout à fait intéressant et prometteur », toujours selon Vincent Jonquières : c’est selon lui peut-être la première fois que l’UE se dote d’une mesure qui devrait partiellement rétablir une forme de level playing field en matière environnementale. « Le principe est très bon », poursuit-il, mais sa « mise en œuvre parait en revanche d’une redoutable complexité » : il ne vise pas spécialement la difficulté à faire des déclarations que certaines entreprises connaissent, mais plus profondément celle « qu’auront les autorités nationales et européennes à vérifier que ce qui est déclaré, au titre des émissions de produits importés, correspond bien à ces émissions ». Le dispositif a été pensé comme une sorte de miroir du système européen de quota carbone, mais ça ne peut pas être un vrai miroir, parce que dans ce système de quota carbone, des installations doivent déclarer leurs émissions et acheter des quotas pour couvrir leurs émissions et ces installations sont sur le territoire de l’Union : il est facile d’aller contrôler ce qu’elles font ; c’est l’installation dans son intégralité, avec ses étapes de production identifiées, qui est soumise au système et qui a l’obligation d’acheter ces quotas. Dans le cadre du MACF, ce ne sont pas des installations qui sont soumises au contrôle, mais des produits importés, produits qui ont été faits dans installation qu’on « espère » connaitre, mais qu’on ne connait pas forcément, puisque le produit a pu être transformés dans un pays intermédiaire. Donc, les émissions qui auront été générés surtout à l’origine du produit, c’est-à-dire pour un acier au moment où celui-ci a été coulé et fondu, ne sont pas forcément liées au pays d’où vient le produit et il va être « assez difficile d’aller exercer un contrôle, surtout dans des pays aussi transparents que la Chine, le Vietnam ou quelques autres », ironise Vincent Jonquières. Face à cela, il est « un peu inquiet » et a l’impression que « parfois, à force de vouloir être les meilleurs élèves de la classe de l’OMC, on va finir effectivement par construire un mécanisme qui sera parfaitement compatible [avec les règles de l’OMC], mais totalement inefficace ». Là aussi, il espère que le bon sens l’emporte et que des mécanismes robustes puissent être mis en œuvre (à travers des contrôles, mais aussi peut-être à travers l’application systématique de valeur par défaut, élevées et dissuasives et donc efficaces, vis-à-vis de toutes les importations pour lesquelles la qualité des données ou la qualité des contrôles n’aura pas permis de s’assurer de la réalité des émissions).
Enfin, le représentant de France Industrie aborde un dernier sujet, celui de « la bataille économique pour les ressources ». L’Europe dispose de peu de ressources minières, mais a une ressource très importante que sont les ressources secondaires, autrement dit les déchets de nos consommateurs et industries. Ces déchets sont soumis à des règles spécifiques d’exportation et de transfert dans l’UE. Très récemment, l’Union s’est dotée d’un nouveau cadre avec le règlement 2024/1157 du 11 avril 2024, qui prend la suite du règlement n° 1013/2006 et doit mettre en œuvre à partir de 2026-2027 de nouvelles exigences en matière notamment d’exportation de déchets. Le sujet est important parce que les déchets font partie des ressources qui permettront à l’industrie européenne d’une part d’être plus autonome en matière de ressource et d’autre part de continuer sa décarbonation. On peut penser bien sûr aux déchets de batterie des véhicules électriques qui contiendront du nickel, du lithium, toute matière qui n’existe pas ou pratiquement pas à l’état naturel dans l’UE. En les récupérant à travers les déchets, on peut espérer réduire notre dépendance aux importations. Dans le cas particulier du nickel, dont l’industrie sidérurgique est le principal consommateur, exporter des ferrailles qui en comportent revient finalement à appauvrir le territoire européen d’une ressource qui n’existe pas dans notre sol. C’est donc une opportunité perdue. Si le règlement 2024/1157 précité va permettre de renforcer les contrôles sur les exportations de déchets vers les pays tiers, il est sensible également en ce qu’il constitue une avancée positive qui doit permettre de rétablir aussi une forme de level playing field, d’équité en matière de ressource, « puisqu’il est important évidement que l’industrie européenne puisse utiliser ces ressources secondaires, les recycler dans les conditions environnementales qui sont généralement plus vertueuses que lorsque ces mêmes ressources sont exportées et terminent ensuite leur vie dans des usines en Chine ou en Inde, où probablement les conditions de travail, les conditions de protection des salariés et les conditions de protection de l’environnement ne sont pas toujours exactement les mêmes que dans l’Union européenne ». Vincent Jonquières voit donc dans « ce règlement spécifique et un peu pointu peut être un exemple intéressant d’une avancée du droit européen » – à condition d’une application et une mise en œuvre efficace et volontariste qui nécessitera le plein concours de la Douane – et une perspective intéressante et il espère que, demain, d’autres règlements puissent donner à l’industrie européenne d’avantage de moyens de se battre à armes égales.
Défis douaniers et commerciaux : même combat pour les opérateurs, la DGDDI et l’UE, mais les armes sont-elles efficaces à l’international ?
Affaires - International
Transport - Douane
26/11/2024
Augmentation des réglementations sectorielles, contexte géopolitique dégradé, réforme de l’Union douanière et (in)efficacité de certaines mesures de politique commerciale sont au menu des sujets sensibles pour les entreprises, pour la Douane française et pour la Commission européenne, lors de la première journée du colloque douanier européen de l’ODASCE qui s’est tenu à Marseille les 20 et 21 novembre 2024. Si la sensibilité de ces enjeux est partagée par tous, des exemples d’application des mesures de défense commerciale exposés par le représentant de France Industrie ne laissent guère de doute quant à leur efficacité et à l’attitude que devraient adopter les institutions de l’UE vis-à-vis des pays tiers.
Florien Colas, le Directeur général des douanes et droits indirects, brosse à grand trait les défis de la Douane française qui sont aussi les défis des opérateurs et explique en quoi ils sont des « challenges » à relever en termes d’organisation. Le premier concerne la massification des flux, licites (notamment le e-commerce qui explose et devient un défi immense de contrôle parce qu’il est aussi source de fraude) et illicites (qui augmentent également), alors que la Douane dispose de moyens constants.
Réglementations sectorielles et contexte géopolitique. – Le deuxième phénomène porte sur la mutation des métiers : on est passé d’une Douane qui libère la marchandise à l’entrée et à la sortie à une Douane qui, de plus en plus, opère un contrôle des réglementations applicables au produit. Elle est devenue une « administration de contrôle polyvalente des réglementations sectorielles ». On parle aussi de réglementations non douanières s’agissant de ces normes sectorielles (MACF, lutte contre la déforestation importée, lutte contre le travail forcé, par exemple) qui sont en croissance permanente pour atteindre le chiffre de 348 aujourd’hui… « et ça ne va pas s’arrêter » ajoute Florian Colas ! C’est un défi pour la Douane en ce qu’elle doit mettre en œuvre des réglementations dont elle n’est pas un expert et qu’elle ne maitrise pas puisqu’elles sont mises en œuvre par des autorités compétentes ; il faut donc une relation entre cette dernière et la Douane pour les questions d’interprétation et, en même temps, la Douane doit répondre aux interrogations concrètes que se posent les opérateurs. Une question se pose aussi à la Douane s’agissant de son rôle dans ce cadre : vérifier simplement la présence d’un document d’ordre public (DOP) ou opérer en substance un contrôle de fond ? S’ajoute bien sûr la gestion de l’imprévu avec des exemples récents comme le Covid (et la gestion de l’approvisionnement des masques), le Brexit ou les sanctions contre la Russie.
Difficile d’anticiper sur l’actualité de 2025, mais face à un contexte géopolitique incertain, la Douane est une arme de politique économique, à la fois défensive et offensive (s’agissant des tarifs) : cette administration a un rôle à jouer en termes de protection de l’appareil économique national et peut avoir aussi un rôle offensif dans un contexte économique très tendu en projetant les normes et exigences de l’UE à l’étranger, vers les opérateurs qui exportent à destination l’UE : on est au début de l’histoire dans cette capacité à gérer un effet extraterritorial par l’application des réglementations que la Douane met en œuvre. Mais il faut le développer de manière effective avec des outils qui ne pénalisent les opérateurs européens : ce sera le défi des prochaines années et le travail en ce sens a déjà commencé.
Réforme de l’Union douanière. – Bien qu’elle soit la base, le socle de l’UE, l’union douanière est paradoxalement la moins intégrée s’agissant des outils connectés : les systèmes informatiques sont fragmentés au niveau national. De plus, s’agissant de l’e-commerce, il faut inventer de nouveaux outils pour le traitement de ce type de flux (qui n’a pas le même volume, ni les mêmes défis que le commerce non électronique) qui garantissent la fluidité. S’agissant du statut d’opérateur « Trust and Check », une réflexion est nécessaire sur l’articulation avec le dispositif OEA et sur le contenu à lui donner en termes de bénéfices : la Douane travaille avec ses partenaires de l’UE à une vision commune sur ces points. Enfin, s’agissant de l’autorité douanière européenne, un premier pas a été franchi : une coopération informelle avec la création de l’ADEF, l’agence douanière européenne pour les frontières (organisée en 4 piliers : terrestre, maritime, aérien et le soutien) ; elle est une préfiguration de l’autorité précitée. Tout cela va refondre la relation avec les opérateurs et les métiers du dédouanement et donc l’organisation en entreprises.
Le président de l’ODASCE, Marc Brocardi, confirme que la Douane fait face aux mêmes enjeux que les entreprises : inflation de normes sectorielles qui sont selon lui « douanières par destination » puisque, même si ce n’est pas cette administration qui les conçoit, c’est elle qui les contrôle. Il en déduit lui aussi la nécessité pour les opérateurs de réfléchir et d’investir dans les process et dans l’humain via la formation.
Avec des réglementations sectorielles pour le moins en nombre, la barque de la Douane ne commence-t-elle pas à être trop lourde ? « Non », répond Guillaume Vanderhayden, le sous-directeur au commerce international à la DGDDI, qui ajoute que, certes « la barque est chargée », mais qu’il est « un fonctionnaire heureux » parce qu’il ne « crée pas de normes » (la réglementation est en la matière européenne). Au contraire, il souligne que, dans le cadre du projet gouvernemental de simplification, plusieurs dizaines de Cerfa seront supprimés. Pour gérer au mieux ces réglementations sectorielles, il faut automatiser les contrôles, ce qui implique toujours une qualité de la donnée. Bien sûr, il existe un défi de coordination (et de transmission interministérielle de la donnée et de sa qualité) avec l’autorité en charge de la réglementation (par exemple, la DGEC pour le MACF) : en effet, la Douane intervient comme l’autorité de contrôle, le bras armé. Et « tout cela va se décanter avec la réforme de l’UE », notamment parce que le data hub favorisera la donnée et l’analyse de risque au service de la politique sectorielle, ainsi qu’une analyse des flux qui pourra faciliter une analyse de risque sur des filières stratégiques ou identifiées à risque. Le sous-directeur rappelle une nouvelle fois la notion de Douane « stratégique » ainsi que l’accompagnement économique des services douaniers : les PAE, le SGC, la MA2E… « qui passent leurs journées à conseiller les entreprises ». Il insiste aussi sur l’utilité de bien connaitre la matière douanière pour les entreprises : pas seulement pour éviter les contrôles, mais aussi et surtout pour montrer que les opérateurs maitrisent la réglementation du passage frontière qui permet de faire des économies (temps et argent), ce qu’il faut démontrer aux décideurs de l’entreprise. De plus, il faut maitriser plus la matière que les formalités déclaratives elles-mêmes parce qu’avec la réforme de l’union douanière, il n’y aura plus de déclaration de douane « au sens historique » : les entreprises vont d’abord déverser de la donnée dans le data hub, puis les Douanes vont poser des « questions de type compliance ». Ainsi, « le sujet douanier des réglementations sectorielles va devenir stratégique dans les entreprises », ce qui implique que les métiers des représentants en douane enregistrés (RDE) vont évoluer : ils ne vont plus être présents pour vérifier les déclarations, mais avoir une offre de conseil plus importante selon lui (ce qui est déjà une réalité puisque les clients des RDE leur posent déjà des questions par exemple sur le MACF). |
Des défis identiques pour l’UE
La sécurité économique devient sujet majeur et la politique commerciale doit être pensée dans le contexte économique qu’on connait aujourd’hui, qui évolue rapidement et peut être perturbateur, et donc créateur d’opportunité parfois, selon Charlotte Merlier de la DG TAXUD. Mais il est surtout perturbateur et crée un besoin de s’adapter rapidement. La politique de partenariat avec les pays tiers reste d’actualité, mais la conscience qu’il faut être prêt à défendre les intérêts de l’UE doit rester présente, en ce sens que les instruments de défense commerciaux, le contrôle des exportations, les sanctions économiques « doivent rester dans l’agenda ». La question de l’application des mesures prises est aussi un point important : on adopte des mesures et il faut ensuite qu’elles soient mises en œuvre par les entreprises et les administrations. La question de l’équilibre entre les facilitations et simplifications d’une part et les contrôles d’autre part (pour la protection des intérêts financiers, la protection contre le commerce illicite) est remise au cœur des mois et années qui viennent.
S’agissant de la réforme de l’Union douanière, elle s’inscrit dans un environnement qui cumule la complexité croissante de la frontière, des marchandises, des flux qui augmentent comme le nombre des déclarations et des règles sectorielles assez complexes et pas toujours adaptées aux outils douaniers, et un contexte extérieur de plus en plus incertain (Covid, Brexit, mesures de restriction). Ce constat confirme que l’outil douanier se pense à l’échelle européenne (« act as one »). L’aspect technologique doit être complétement intégré dans cette approche. La politique douanière doit servir des objectifs stratégiques : sécurité économique, politique commerciale, politique tarifaire, politique industrielle, politique environnementale, qui sont également des enjeux de l’UE. La réforme a été pensée et est toujours adaptée à ces défis (dès l’origine, elle n’a été envisagée ni comme une réforme technique, ni comme un toilettage du CDU) : elle s’inscrit dès le début dans un changement de paradigme, un changement d’échelle (s’agissant de la technique). On agit ensemble (« act as one ») avec des données partagées et l’action commune, la gestion des risques, la gestion des crises, la définition des infractions et des sanctions. La réforme résoudrait aussi l’enjeu de gouvernance pour l’UE : l’autorité douanière sera un interlocuteur au niveau européen pouvant dialoguer avec d’autres agences (Euronext, Europol, etc.). La réforme donne ainsi de la visibilité à la Douane et au volet non financier (réglementations sectorielles, mesures de sanction), le volet des droits de douane demeurant toujours.
Un titre entier de la réforme est dédié à la coopération, bien sûr entre États membres, avec les autorités douanières et avec les administrations partenaires, celles qui décident et mettent en application les réglementations sectorielles (leur expertise est nécessaire) et la coopération avec les pays tiers. Comment la réalise-t-on ? Deux outils majeurs sont proposés dans la réforme : l’autorité douanière qui met ensemble les ressources, l’expertise et les capacités à l’échelle de l’UE pour développer et pour maintenir l’outil qu’est le data hub qui va faire un usage de la data, de l’expertise au service des États membres et des entreprises : ce sera le lieu de la capacité européenne pour la gestion des risques/des crises à l’échelle de l’UE en soutien des États membres. Le data hub est une plateforme pour les formalités douanières, pour les procédures douanières, pour les autorisations et les décisions prises par les Douanes. Les administrations et les opérateurs utilisent cet outil en commun qui sert une politique de simplification (les données étant réutilisées), en ayant ainsi une seule interface au lieu d’une centaine actuellement qui sont en silo et le plus souvent nationales. Ce data hub matérialise une union douanière, une politique tarifaire et commerciale commune et est pensé pour être accessible par toutes les entreprises : il n’y pas de seuil en dessous duquel certaines entreprises ne pourraient pas l’utiliser. L’aspect « accès à la donnée » (au sens de protection) est aussi pris en compte : l’UE dispose du RGPD et les éléments de la réforme seront développés par des textes d’application (qui préciseront qui accède à quoi, dans quelles conditions, dans quels objectifs, etc.).
La réforme c’est aussi la technique aux services des priorités ci-dessus, la rationalisation des procédures douanières. On change la notion d’importateur : c’est celui qui décide et qui sait ce qu’il se passe, il est donc responsable. Il y a un chainage des éléments : l’entrée (ICS), n’est plus séparée, n’est plus en silo par rapport au transit, par rapport au dédouanement ; on réutilise les données, on permet à plusieurs personnes différentes de compléter la chaine de données (c’est plus simple, plus rapide et plus efficace pour les entreprises et l’administration) ; on est dans une logique de qualité des données et d’anticipation des événements.
Un enjeu de partenariat avec les entreprises fiables se traduit avec le statut d’opérateur Trust and Check qui va plus loin que le statut d’OEA. On vise la simplification renforcée (et notamment la centralisation à l’échelle de l’UE) et des facilités pour ces opérateurs. En échange de ces avantages, la contrepartie qui doit en résulter est la transparence avec la Douane, qui doit plus facilement faire son métier et réaliser la surveillance de ces flux en partenariat avec l’entreprise.
Le e-commerce, une partie importante de la réforme, est aussi rappelé : sa réforme n’est pas un aspect isolé, mais vient de celle relative à la TVA, la nourrit et la complète.
La technique de la réforme sert un objectif plus important de sécurité des données et d’un équilibre entre les facilitations et la capacité de contrôle et de protection de l’UE.
Le calendrier 2026-2028 portera essentiellement sur les premiers éléments du data hub et du e-commerce et, à partir de 2032, les opérateurs pourront entamer leurs mouvements vers ce hub pour que leurs flux soient gérés avec cette dimension européenne.
En conclusion, la réforme de l’Union douanière est un enjeu pour le commerce et pas seulement pour les aspects douaniers, elle a été pensée pour servir la sécurité de l’UE et il est important qu’elle se concrétise le plus tôt possible, selon la représentante de la Commission.
En parallèle de la réforme, d’autres sujets douaniers demeurent pour la Commission européenne : l’évaluation des règles d’origine ; l’évaluation des suspensions et contingents tarifaires, outils extrêmement importants au service de l’économie ; le plan vert, de durabilité, dans le cadre de l’OMD et notamment la réforme du SH et donc du classement tarifaire dans cette logique de verdissement. |
Des enjeux de politique commerciale offensifs et défensifs bien compris…
Thimothé Hure, le chef du bureau règlementation internationale du commerce à la Direction général du Trésor, rappelle que cette direction est chargée d’élaborer la politique de la France en matière commerciale, s’agissant des intérêts tant offensifs que défensifs. Face à la montée des tensions géopolitiques, des réponses appropriées aux tensions commerciales croissantes doivent être trouvées : il faut diversifier les importations et les exportations, diversifier les débouchés et les chaines d’approvisionnement. Les tensions géopolitiques, comme celles avec la Chine ou les USA, vont créer des tensions commerciales : des mesures commerciales sont prises par ces partenaires commerciaux qui sont restrictives, pour ne pas dire protectionnistes (restriction aux importations de matière première, mise en place de barrière tarifaire, de mesures « distorsives » du bon fonctionnement du commerce, par exemple par l’usage massif de subvention par certaines économies, notamment la Chine, ou par la mise en avant de critère de contenu local, comme avec les USA). Ces mesures affectent fortement l’économie de l’UE. Le défi pour la France et l’UE est de veiller ce qu’il y ait une meilleure articulation entre la politique commerciale qui doit être plus assertive et la politique industrielle qui doit être davantage affirmée. Parler de politique commerciale plus assertive signifie davantage utiliser les outils de l’UE pour face à certaines pratiques déloyales. Il ne faut pas le voir comme un repli sur soi : évidemment l’ouverture commerciale est un point central de l’agenda commercial français et européen, mais cette ouverture ne doit se faire que si on est face à des situations de concurrence loyale. À défaut, il ne faut pas hésiter à utiliser les moyens de défense commerciale. La Commission et les États membres se mobilisent pour agir de manière rapide et unie. Il faut toutefois faire mieux parce que le « risque d’atteinte assez nette à nos intérêts » est présent, s’agissant par exemple de la nouvelle administration Trump qui pourrait affecter les relations avec la Chine et affecter directement l’UE s’agissant d’une promesse de campagne de relever les droits de douane de 10 à 20 % erga omnes. Tous ces éléments doivent amener les opérateurs à augmenter leurs débouchés et à sécuriser leurs approvisionnements, l’enjeu portant donc sur l’import et l’export. La DG Trésor s’appuie sur les opérateurs qui sont les premiers à identifier les risques et les barrières.
Dans ce contexte, les accords de commerce sont un puissant instrument pour les importations et exportations. Ils sont conditionnés à leur bonne mise en œuvre et à leur bonne application. Il faut aussi qu’ils soient connus et utilisés par les filières qui peuvent y avoir recours : il est clair que les entreprises les connaissaient, savent s’en saisir, mais sans doute pas suffisamment. Le bilan de leur utilisation est globalement positif : les entreprises françaises font usage des préférences tarifaires des accords de commerce avec un taux d’utilisation de 89 % à l’importation et 80 % à l’exportation en 2023. La France fait partie des « bons élèves » de l’UE. Mais on estime à 500 millions le montant d’économies supplémentaires qui pourraient être réalisées si les préférences étaient utilisées en totalité. L’enjeu d’un plus grand recours aux opportunités offertes par les accords sur ce point est donc clairement identifié et il faut donc les faires connaitre. Ainsi, par exemple, la « semaine de l’export » organisée notamment par la DG Trésor fait la promotion des accords (la prochaine aura lieu les 4 et 5 février 2025) et présente l’intérêt d’un contact avec ses services et ceux de la Commission pour gérer le cas échéant des difficultés d’accès au marché. Bien sûr, les opérateurs ne doivent pas hésiter non plus à utiliser Access2market, à se rapprocher des services économiques en ambassade, de business France, des conseillers du commerce extérieur, etc.
… mais mal appliqués au niveau de l’UE ?
Vincent Jonquières de France Industrie annonce d’emblée la couleur de ses propos : il « va casser l’ambiance », mais très factuellement : selon lui, « pour les industriels aujourd’hui la situation est urgente, grave, voire dramatique ». La Douane est une arme et il est urgent de se saisir des possibilités qu’elle peut offrir pour protéger l’industrie européenne.
Il donne deux éléments de contexte qui illustrent à travers le secteur de la sidérurgie l’ampleur de la crise à laquelle les opérateurs sont confrontés. D’une part, lors du récent forum annuel de l’OCDE consacré à l’acier qui s’est tenu à Paris, il a été constaté que « les surcapacités mondiales atteignaient la bagatelle de 550 millions de tonnes, c’est-à-dire plus que la production cumulée des USA, du Japon de l’UE de l’Inde et de la Turquie ». Ces surcapacités viennent manifestement d’une « politique expansionniste agressive » maintenue par des États principalement asiatiques, avec au premier rang d’entre eux la Chine (et ses subventions). Ces surcapacités qui ont besoin de s’écouler et perturbent ainsi très fortement les marchés mondiaux et le marché européen en particulier. La Chine a augmenté à elle seule ses exportations sidérurgiques d’avant 2023 de 40 % et les chiffres 2024 laissent présager une nouvelle augmentation de 30 %. D’autre part, un autre exemple de la brutalité des phénomènes auxquels les opérateurs doivent faire face concerne l’Indonésie qui est un pays richement doté de ressources minières : à partir du milieu des années 2010, la Chine s’est intéressée à ses ressources minières pour ses propres besoins industriels et, dans le cadre des nouvelles stratégies des routes de la soie en partenariat avec le gouvernement indonésien, a constitué à partir de 2015 un des plus grand complexes sidérurgiques au monde avec une dizaine de milliards de dollars de subvention ; ce complexe produit à lui seul plus d’acier inoxydable que l’ensemble de l’industrie européenne qui en la matière à un siècle d’histoire. Ainsi, en moins de 10 ans, une capacité qui n’existait pas (d’ailleurs créée dans un pays qui n'a pas lui-même de demande intérieure pour l’acier inoxydable) apparait avec des capitaux et cette capacité est donc entièrement vouée à l’exportation, notamment vers l’UE.
Face à cela, « que fait-on ? » interroge Vincent Jonquières. Les opérateurs réalisent des efforts de productivité et de réductions de leurs coûts. Mais ces actions connaissent vite une limite, les facteurs de coûts ayant connu une « certaine inflation » en matière d’énergie ou de salaires. Donc les opérateurs se tournent vers les autorités européennes ou nationales pour demander protection, sous forme d’instrument de défense commerciale par exemple. Dans le cas de l’Indonésie, elles ont été obtenues… mais à peine ces mesures avaient-elles été mises en place en 2022 qu’elles sont immédiatement contournées : la production sidérurgique jusque-là exportée directement vers l’UE depuis l’Indonésie fut exportée par des pays tiers (où les produits subissent une transformation intermédiaire qui leur confère l’origine du pays où elle a lieu) pour arriver sur le marché européen exemptée de droit. Les opérateurs de l’UE ont alors engagé une procédure anti-contournement : cela ajoute encore deux ans de plus ! Et la Commission a adopté finalement mi-2024 une mesure anti-contournement visant trois des pays concernés par les activités de contournement… tout en décidant d’assortir sa mesure d’exemptions qui de facto conduisent à ce que les principaux acteurs impliqués dans ce contournement ne soient pas soumis à la mesure. « Pourquoi ? », s’interroge encore le représentant de France Industrie. Apparemment, au nom du respect de règles dont la Commission s’est dotée elle-même ou qu’elle interprète comme découlant du cadre de l’OMC. Bref, pour Vincent Jonquières, « le multilatéralisme, s’il doit conduire à ce que nous pratiquions un sport de gentlemen, une forme d’escrime à fleuret moucheté, face à des gens qui, eux, pratiquent le combat de rue », ne garantira pas l’avenir de l’industrie européenne, et « donc oui, nous avons des armes [de défense commerciale] mais il est important de s’en saisir pleinement ».
S’agissant toujours de défense commerciale, le représentant de France Industrie souligne le parallèle intéressant avec les USA. En 2018, l’administration américaine avait introduit un droit à l’importation systématique erga omnes de 25 % sur les produits sidérurgiques, une mesure brutale non compatible avec les règles de l’OMC qui a amené ensuite les USA à négocier des accords d’exemption partielle avec de grands partenaires économiques, dont le Mexique, le Canada et l’UE. C’est une mesure qui a été très efficace pour protéger l’industrie US. À l’inverse, l’UE n’a pas souhaité se doter d’un instrument équivalent : elle a mis en place à partir de 2018 un instrument dit de sauvegarde qui n’a pas du tout la même portée puisqu’au lieu de taxer au premier euro ou à la première tonne les produits importés, le principe était au contraire d’exonérer les volumes historiquement importés tout en continuant d’augmenter chaque année les quotas de volumes exemptés. Dans le même temps, avec la crise du Covid et la crise énergétique qui a suivi l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le marché européen lui baissait : ainsi, des quotas d’importation en franchise de droit augmentaient et un marché européen diminuait, conduisant à déstabiliser encore plus l’industrie européenne. Donc, « on pourrait s’inspirer utilement de ce qu’on fait les USA en 2018 et il y a sans doute urgence », selon Vincent Jonquières qui a le sens ici de l’euphémisme.
S’agissant du MACF, c’est « un instrument tout à fait intéressant et prometteur », toujours selon Vincent Jonquières : c’est selon lui peut-être la première fois que l’UE se dote d’une mesure qui devrait partiellement rétablir une forme de level playing field en matière environnementale. « Le principe est très bon », poursuit-il, mais sa « mise en œuvre parait en revanche d’une redoutable complexité » : il ne vise pas spécialement la difficulté à faire des déclarations que certaines entreprises connaissent, mais plus profondément celle « qu’auront les autorités nationales et européennes à vérifier que ce qui est déclaré, au titre des émissions de produits importés, correspond bien à ces émissions ». Le dispositif a été pensé comme une sorte de miroir du système européen de quota carbone, mais ça ne peut pas être un vrai miroir, parce que dans ce système de quota carbone, des installations doivent déclarer leurs émissions et acheter des quotas pour couvrir leurs émissions et ces installations sont sur le territoire de l’Union : il est facile d’aller contrôler ce qu’elles font ; c’est l’installation dans son intégralité, avec ses étapes de production identifiées, qui est soumise au système et qui a l’obligation d’acheter ces quotas. Dans le cadre du MACF, ce ne sont pas des installations qui sont soumises au contrôle, mais des produits importés, produits qui ont été faits dans installation qu’on « espère » connaitre, mais qu’on ne connait pas forcément, puisque le produit a pu être transformés dans un pays intermédiaire. Donc, les émissions qui auront été générés surtout à l’origine du produit, c’est-à-dire pour un acier au moment où celui-ci a été coulé et fondu, ne sont pas forcément liées au pays d’où vient le produit et il va être « assez difficile d’aller exercer un contrôle, surtout dans des pays aussi transparents que la Chine, le Vietnam ou quelques autres », ironise Vincent Jonquières. Face à cela, il est « un peu inquiet » et a l’impression que « parfois, à force de vouloir être les meilleurs élèves de la classe de l’OMC, on va finir effectivement par construire un mécanisme qui sera parfaitement compatible [avec les règles de l’OMC], mais totalement inefficace ». Là aussi, il espère que le bon sens l’emporte et que des mécanismes robustes puissent être mis en œuvre (à travers des contrôles, mais aussi peut-être à travers l’application systématique de valeur par défaut, élevées et dissuasives et donc efficaces, vis-à-vis de toutes les importations pour lesquelles la qualité des données ou la qualité des contrôles n’aura pas permis de s’assurer de la réalité des émissions).
Pour Guillaume Vanderhayden, le sous-directeur au commerce international à la DGDDI, l’idée de l’UE d’imposer ses standards à l’extérieur de l’Union (comme avec le MACF) « fait des émules dans d’autres régions du monde qui se dotent d’outils similaires » : « la bonne parole est passée » selon lui et la transformation de l’activité d’un point de vue douanier se traduit par le passage d’une déclaration avec un document d’ordre public (DOP) à un contrôle du process de production, ce qui implique des capacités de contrôle dans le pays tiers. Sur ce sujet, Stéphanie Tison du MEDEF estime qu’il y a certes une « position de vertu » à penser qu’on va montrer au monde la voie à suivre, ou en tous cas « l’encourager à adopter un modèle économique avec des valeurs qu’il ne partage pas du tout », mais l’Union européenne risque en définitive d’être « assez isolée » face à des entreprises qui ont un poids énorme. |
Enfin, le représentant de France Industrie aborde un dernier sujet, celui de « la bataille économique pour les ressources ». L’Europe dispose de peu de ressources minières, mais a une ressource très importante que sont les ressources secondaires, autrement dit les déchets de nos consommateurs et industries. Ces déchets sont soumis à des règles spécifiques d’exportation et de transfert dans l’UE. Très récemment, l’Union s’est dotée d’un nouveau cadre avec le règlement 2024/1157 du 11 avril 2024, qui prend la suite du règlement n° 1013/2006 et doit mettre en œuvre à partir de 2026-2027 de nouvelles exigences en matière notamment d’exportation de déchets. Le sujet est important parce que les déchets font partie des ressources qui permettront à l’industrie européenne d’une part d’être plus autonome en matière de ressource et d’autre part de continuer sa décarbonation. On peut penser bien sûr aux déchets de batterie des véhicules électriques qui contiendront du nickel, du lithium, toute matière qui n’existe pas ou pratiquement pas à l’état naturel dans l’UE. En les récupérant à travers les déchets, on peut espérer réduire notre dépendance aux importations. Dans le cas particulier du nickel, dont l’industrie sidérurgique est le principal consommateur, exporter des ferrailles qui en comportent revient finalement à appauvrir le territoire européen d’une ressource qui n’existe pas dans notre sol. C’est donc une opportunité perdue. Si le règlement 2024/1157 précité va permettre de renforcer les contrôles sur les exportations de déchets vers les pays tiers, il est sensible également en ce qu’il constitue une avancée positive qui doit permettre de rétablir aussi une forme de level playing field, d’équité en matière de ressource, « puisqu’il est important évidement que l’industrie européenne puisse utiliser ces ressources secondaires, les recycler dans les conditions environnementales qui sont généralement plus vertueuses que lorsque ces mêmes ressources sont exportées et terminent ensuite leur vie dans des usines en Chine ou en Inde, où probablement les conditions de travail, les conditions de protection des salariés et les conditions de protection de l’environnement ne sont pas toujours exactement les mêmes que dans l’Union européenne ». Vincent Jonquières voit donc dans « ce règlement spécifique et un peu pointu peut être un exemple intéressant d’une avancée du droit européen » – à condition d’une application et une mise en œuvre efficace et volontariste qui nécessitera le plein concours de la Douane – et une perspective intéressante et il espère que, demain, d’autres règlements puissent donner à l’industrie européenne d’avantage de moyens de se battre à armes égales.
Source : Actualités du droit