Retour aux articles

Futur statut douanier de Trust & Check : « regards croisés »

Transport - Douane
28/11/2024
Issu de la proposition de la Commission européenne de réforme de l’Union douanière, le statut de Trust & Check fait l’objet de la part des opérateurs d’interrogations et de suggestions auxquelles la DG TAXUD répond en donnant son interprétation du texte et son esprit, lors de la première journée du colloque douanier européen de l’ODASCE qui s’est tenu à Marseille les 20 et 21 novembre 2024.
Elena Suarez de Business Europe et Charlotte Merlier de la DG TAXUD de la Commission européenne se prêtent à un jeu de questions-réponses sur le statut Trust & Check qui entrera en vigueur avec la réforme de l’Union douanière (voir par exemple Réforme de l’union douanière et du CDU : première présentation synthétique, Actualités du droit, 23 mai 2024).
 
Conditions et avantages du statut Trust & Check
 
Charlotte Merlier rappelle d’abord ce qu’est le statut de Trust & Check « qui ne vient pas de nulle part » : il est lié aux objectifs que la réforme vise et l’idée est bien sûr d’accorder plus de simplifications à ces opérateurs de confiance. Une nouveauté consiste pour les autorités douanières à effectuer une vérification de statut tous les trois ans (art. 25, § 4). Elle rappelle aussi que les OEA simplifications douanières vont disparaitre, mais pas les OEA sécurité-sûreté en raison des accords de reconnaissance mutuelle (ARM) négociés avec des États partenaires.
 
Pour savoir si on peut être Trust & Check, il faut lire l’article 25 de la proposition selon la représentante de la Commission qui ajoute immédiatement que, bonne nouvelle, tout le monde peut l’être, sauf si un opérateur a fait de « vilaines choses » dans le passé. À la lecture de la disposition précitée, on se rend compte que les conditions sont les mêmes que celles pour les OEA (solvabilité financière, standard de sécurité, absence d’infraction douanière et fiscale…), sauf qu’on ajoute, avec la lettre f) du § 3 de l’article, la condition selon laquelle ces opérateurs doivent être « transparents » , c’est-à-dire qu’ils doivent connecter leurs systèmes informatiques au data hub et fournir des données « en temps réel » (en vue du contrôle) de sorte que les Douanes aient une vue totale des opérations. En revanche, on ne crée pas de nouvelles data à fournir : les données exigées sont celles que les opérateurs doivent détenir pour leur propre organisation des process ou pour des buts commerciaux ; il s’agit d’informations qui sont quelque part dans leurs bases de données, ou, si elles n’y sont pas, que quelqu’un d’autre a à sa disposition (un transporteur par exemple) et que l’opérateur doit connaitre. Il ne s’agit pas non plus de dupliquer les données, mais de les rendre disponibles pour le data hub.
Enfin, une nouvelle condition concerne également l’ancienneté qui doit être de trois ans : le demandeur au statut de Trust & Check doit « avoir effectué des opérations douanières régulières dans le cadre de son activité pendant au moins 3 ans » (art. 25, § 1).
 
Les avantages sont constitués d’une liste de simplifications systématiques/automatiques, dont un Trust & Check bénéficie immédiatement, et d’une autre liste pour laquelle les autorités douanières « peuvent » accorder des avantages (voir ci-après). Principalement, ces avantages concernent l’autorisation de dédouanement centralisé accordée à l’endroit où l’opérateur est établi (le lieu d’établissement est « la clé », l’article 5 de la proposition le définissant comme le siège central ou l’établissement stable d'activité, sur le territoire douanier de l'Union, et détermine le lieu où les autorités douanières vont s’occuper de toutes les opérations douanières de l’opérateur), l’autoévaluation, la détermination périodique de la dette, une garantie réduite, un paiement différé, une dispense de formalité et de garantie pour le transit (un opérateur peut ainsi déplacer ses marchandises tant que la Douane dispose de la donnée correspondante dans le hub qui lui indique où elles se trouvent, cette administration pouvant ainsi toujours opérer un contrôle), une approche adaptée des contrôles, ou encore des contrôles réduits.
 
Autrement dit, en bref, contre la fourniture ou l’accès des données en temps réel, l’opérateur Trust & Check peut bénéficier des simplifications supplémentaires que sont la centralisation du dédouanement et l’absence de formalité dans le cadre du transit.
 
Horizon lointain
 
La représentante de Business Europe est convaincue de l’utilité de la centralisation du dédouanement au profit d’une compétitivité et d’une efficacité accrue pour les opérateurs. Or, selon la chronologie de la proposition de la Commission, la mise en œuvre du statut aurait lieu au 31 décembre 2037, donc en 2038. Or, les opérateurs peuvent sur la base du volontariat fournir les données dès 2032 et elle craint qu’avec les retards que connaissent la mise en place des systèmes informatiques la date de 2038 soit dépassée. Elle suggère donc d’avancer cette date autant que possible. Mais la temporalité de la proposition de la Commission est « réaliste », selon Charlotte Merlier qui explique que l’institution sait ce que représente la création d’un système informatique pour toute l’UE. Toutefois, ajoute-t-elle, ce devrait être plus simple (donc sans dépassement de délai ?) puisqu’il s’agit d’un seul système, et pas d’un système connecté avec des systèmes nationaux. De plus, pour la Commission, il s’agit surtout de laisser du temps aux opérateurs pour être prêts entre 2032 et 2037, parce qu’en 2038 les SI nationaux seront arrêtés définitivement. Donc, donc si les opérateurs sont prêts en 2032, ils peuvent recourir au data hub, et s’ils ne le sont pas, ils ont jusqu’en 2037 pour l’être.
 
Pas d’anticipation des avantages pour les OEA
 
Elena Suarez souligne, s’agissant de l’OEA, un manque d’harmonisation des pratiques dans les États membres et une faiblesse des avantages annoncés (s’agissant de la réduction des contrôles, de traitement prioritaire des contrôles, etc.) et des simplifications. Aussi, suggère-t-elle d’appliquer déjà les avantages prévus pour les OEA (art. 23), par exemple pour des flux maritimes réguliers entres des opérateurs identiques. Mais, explique la représentante de la Commission, il n’est pas prévu de modification du CDU dans le cadre de la réforme de l’Union douanière, ni de modification technique le concernant : on ne va donc pas modifier le code actuel.
 
Pas de traitement particulier pour les PME ?
 
Les PME ayant moins de ressources pour remplir les conditions du statut Trust & Check, cela les désavantagerait par rapport aux grandes entreprises selon la représentante de Business Europe, qui demande si l’autorité douanière européenne pourrait venir en soutien aux PME dans l’obtention du statut, ou si une solution intermédiaire pourrait leur permettre de bénéficier des avantages. Mais, pour la représentante de la DG TAXUD, les PME ne sont pas écartées, beaucoup ayant selon elle les moyens nécessaires (s’agissant des données notamment) et, selon la conception de la Commission, les PME peuvent réussir ce qu’elle préconise (pousser les datas ou les rendre disponibles). Dans la proposition du Parlement, on vise certes à ce que l’autorité douanière européenne tende la main aux PME, mais ce n’est pas la position de la Commission pour qui cette autorité aide les États membres, le point de contact des opérateurs demeurant l’État membre. Sur la question d’un statut intermédiaire pour les PME, la réponse est « entre les mains du Conseil », indique Charlotte Merlier.
 
Application uniforme
 
Le risque d’une application qui ne serait uniforme dans les États membres (quant aux bénéfices et conditions d’obtention du statut) ce qui créerait un manque de level playing field dans le marché unique européen, est relevé par Elena Suarez qui ajoute justement que la réforme est l’opportunité d’une mise en place uniforme dans les États membres sur le principe du « act as one ». Sur ce point, des lignes directrices seront fournies pour atteindre le plus possible l’uniformité nécessaire, explique Charlotte Merlier. Ce sera le rôle de l’autorité douanière européenne de travailler avec les États membres pour y parvenir, mais la Commission n’est pas favorable à ce que les autorisations soient délivrées par cette autorité : il est plus pertinent que les États membres s’en chargent, la relation au niveau national avec l’opérateur et la connaissance de celui-ci par l’autorité nationale demeurant ainsi.
 
Article 25, § 7 : de la rédaction à l’interprétation
 
Le § 7 de l’article 25 dispose que les autorités douanières « peuvent autoriser les commerçants Trust and Check » à bénéficier des avantages qui sont listés. Pour la représentante de Business Europe, ce ne devrait pas être une faculté mais une obligation. Pour Charlotte Merlier, la faculté envisagée dans le texte doit couvrir une situation où l’avantage ne serait pas pertinent pour un opérateur économique : s’il n’en a pas besoin, on ne lui accorde pas. Le choix du terme est volontaire et pourrait être une flexibilité par exemple pour un opérateur Trust & Check qui commencerait à commettre de sérieuses erreurs : il ne remplirait donc plus une des conditions du statut qui pourrait donc lui être retiré et il devrait alors réaliser un « retour à la case départ » pour l’obtention du statut. Mais, avec un peu de flexibilité, on pourrait retirer seulement une des facilités (par exemple la réduction des garanties pour 6 mois), puis on observerait quel a été son comportement pendant cette période. Elana Suarez souligne que cela serait sujet à interprétations divergentes entre les États membres, ce à quoi la représentante de la Commission répond que les dispositions d’application à venir pourraient préciser ce point.
 
Protection des données : accès limité aux besoins
 
Le risque d’atteinte à la sécurité des données est enfin évoqué par Business Europe. Autrement dit, comment se fera l’accès aux données ? La représentante de la DG TAXUD rassure : ce n’est pas parce qu’un opérateur fournit des données que tout le monde peut y accéder ; des règles existent et leur respect sera contrôlé. Les données seront fournies aux autorités douanières de l’UE et, dans certains cas, à d’autres autorités de l’UE qui pourraient en avoir besoin : ce « besoin de savoir » (need to know) va guider l’accès pour ces autorités. Ainsi, d’autres autorités que les Douanes, par exemple les autorités fiscales ou vétérinaires, pourront se connecter au data hub si elles doivent disposer d’une information dans un but spécifique qui les concerne, mais elles ne sauront que ce qu’elles ont à savoir. Ainsi, par exemple, la valeur en douane pour l’établissement de la TVA sera accessible à l’autorité fiscale, qui ne pourra en revanche connaitre des certificats vétérinaires de l’opérateur (ces données relevant de l’autorité sanitaire). Chaque autorité aura donc un accès spécifique en fonction de ce qu’elle a besoin de savoir. De plus, ajoute Charlotte Merlier, une disposition permet aux opérateurs de donner une certaine sensibilité aux données et ces données ainsi qualifiées seront manipulées avec plus d’attention, de prudence. Enfin, bien sûr, il ne sera pas dérogé au RGPD et le niveau de sécurité du SI sera important : les opérateurs ne doivent pas avoir d’inquiétude sur ces points, conclut-elle.
 
 
Source : Actualités du droit