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Droit de visite de l’ancien article 60 du Code des douanes : invoquer son inconstitutionnalité, non, invoquer son incompatibilité avec la CEDH, oui

Affaires - Transport
06/12/2024
Dans un arrêt du 4 décembre 2024 destiné à la publication au Bulletin et aux Lettres de chambre, la Cour de cassation écarte la possibilité d’invoquer l’inconstitutionnalité de l’ancien article 60 du Code des douanes après la décision du Conseil constitutionnel en ce sens, mais examine l’incompatibilité invoquée (en vain) de ce texte avec les articles relatifs au droit à un procès équitable et au respect de la vie privée de la Convention européenne des droits de l’Homme. Sur ce second point, la Haute cour rappelle les conditions d’exercice du droit de visite par les douaniers et fixe des limites à la possibilité d’invoquer l’incompatibilité.
Article 60 du Code des douanes dans sa version antérieure à la loi no 2023-610 : peut-on invoquer l’inconstitutionnalité après la décision qui l’a affirmée ?
 
Pour mémoire, le Conseil constitutionnel dans sa décision du 22 septembre 2002 a déclaré l’ancien article 60 du Code des douanes (relatif au droit de visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes) contraire à la Constitution, a reporté la date de son abrogation au 1er septembre 2023 et a indiqué au point 12 de sa décision que « les mesures prises avant la publication de la présente décision ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité » (Cons. const., 22 sept. 2022, n° 2022-1010 QPC ; voir Droit de visite de l’article 60 du Code des douanes : inconstitutionnel, Actualités du droit, 23 sept. 2022).
 
À propos du contrôle d’un véhicule réalisé par les douaniers sur le fondement de cet ancien article 60 postérieurement à la publication de cette décision, l’inconstitutionnalité de ce texte pouvait-elle être invoquée pour annuler la visite ainsi effectuée ? Non, répond la Cour de cassation qui retient :
 
  • qu’il résulte de la décision précitée que la date de l'abrogation de l’article 60 a été reportée au 1er septembre 2023 et que le Conseil constitutionnel n'a pas assorti sa décision d'une réserve transitoire s'appliquant avant cette abrogation, une telle réserve ne pouvant être qu'explicite ;
  • que, par ailleurs, il ne saurait être déduit de ce que le Conseil constitutionnel a précisé dans sa décision que les mesures prises avant la publication de celle-ci ne peuvent être contestées sur le fondement de l'inconstitutionnalité retenue, que les contrôles douaniers effectués entre cette publication et l'abrogation pourraient l'être ;
  • et enfin qu’à la suite de cette décision, le législateur a réécrit cet article 60, via la loi n° 2023-610 entrée en vigueur le 20 juillet 2023, et que les contrôles opérés avant cette date sur le fondement de l’ancien article 60 ne peuvent donc être contestés en raison de son inconstitutionnalité.
 
L’ancien article 60 méconnait-il le droit à un procès équitable de l’article 6 de la CEDH ?
 
Non, répond encore la Cour de cassation en rappelant les conditions dans lesquelles les douaniers effectuaient leurs contrôles et la jurisprudence qu’elle a déjà adoptée concernent cet ancien article.
 
« 15. L’article 60 (…), dans sa version applicable aux faits, permet aux agents des douanes, pour l'application des dispositions de ce code et en vue de la recherche de la fraude, de procéder au contrôle des marchandises, des moyens de transport et des personnes, sans accord de la personne, ni autorisation préalable de l'autorité judiciaire et sans qu'il soit nécessaire de relever l'existence préalable d'un indice laissant présumer la commission d'une infraction, en tout lieu public des territoires douanier et national où se trouvent des personnes, des moyens de transports ou des marchandises, à toute heure du jour et de la nuit et à l'égard de toute personne se trouvant sur place, ce qui inclut la possibilité de fouiller ses vêtements et ses bagages.
16. La jurisprudence a précisé que cette mesure de contrainte ne peut s'exercer que le temps strictement nécessaire à la réalisation des opérations de visite, que les agents des douanes ne disposent pas d'un pouvoir général d'audition de la personne contrôlée, qu'ils ne sont pas autorisés à procéder à la visite d'un véhicule stationné sur la voie publique ou dans un lieu accessible au public, libre de tout occupant, qu'ils ne peuvent procéder à une fouille à corps impliquant le retrait des vêtements, qu'ils doivent procéder à l'inventaire immédiat des indices recueillis lors du contrôle et les transmettre dans les meilleurs délais à l'officier de police judiciaire compétent pour qu'il procède à leur saisie et placement sous scellés et que la personne concernée par le contrôle peut, si elle fait l'objet de poursuites, faire valoir par voie d'exception la nullité de ces opérations. »
 
L’ancien article 60 méconnait-il le droit au respect de la vie privée et du domicile de l’article 8 de la CEDH ?
 
Non, répond enfin la Cour de cassation en rappelant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme et en précisant les conditions auxquelles l’ancien article 60 est compatible avec l’article 8 de la CEDH : selon le point 22 de l’arrêt, les douaniers « ne peuvent exercer le droit de visite prévu par l'article 60, selon les modalités rappelées aux paragraphes 15 et 16 [Ndlr : reproduits ci-dessus], que s'ils constatent l'existence de raisons plausibles de soupçonner la commission ou la tentative de commission d'une infraction douanière, ou s'ils opèrent dans des zones et lieux présentant des risques particuliers de commission d'infractions douanières. Ces zones et lieux sont le rayon douanier et les bureaux des douanes, tels que définis par l'article 44, dans sa rédaction antérieure à la loi du 18 juillet 2023 précitée, et l’article 47 du code des douanes, ainsi que ceux énumérés par le premier alinéa de l'article 67 quater du même code ». En l'espèce, le contrôle a eu lieu à la frontière franco-italienne, donc dans le rayon douanier tel que défini par l’article 44 précité dans sa rédaction alors applicable, et était donc conforme aux conditions indiquées.
 
La Cour de cassation ajoute aussi deux limites à l’invocation de l’incompatibilité de l’article 60 avec l’article 8 :
 
  • d’une part, la méconnaissance de ces conditions, susceptible d'avoir entraîné une atteinte au droit au respect de la vie privée, n'affecte qu'un intérêt privé et donc que le juge pénal ne peut prononcer la nullité, en application des dispositions de l’article 802 du code de procédure pénale, que si cette irrégularité elle-même a occasionné un préjudice au requérant, lequel ne peut résulter de la seule mise en cause de celui-ci par l'acte critiqué (Cass. crim., 7 sept. 2021, nº 21-80.642, B) ;
  • et d’autre part, l'ingérence dans la vie privée qui résulte de la fouille d'un véhicule étant, par sa nature même, moindre que celle résultant d'une perquisition dans un domicile, il appartient au requérant d'établir qu'un tel acte lui a occasionné un grief (Cass. crim., 16 janv. 2024, nº 22-87.593, B+L).
 
Remarques
Deux autres arrêts du 4 décembre 2024 de la Cour de cassation également reprennent en tout ou partie les solutions exposées ci-dessus, mais examinent aussi la compatibilité de l’ancien article 60 à l’article 5 de la CEDH relatif à la liberté d’aller et venir : ces deux décisions sont exposées dans les « Brèves douanières » au 5 décembre 2024 : jurisprudences, Actualités du droit, 6 déc. 2024.